Parmi les nombreux outils à la disposition d'un gouvernement en période de profonde incertitude, le moins utilisé et pourtant si puissant est celui d'un "référence» à sa plus haute juridiction. Le gouvernement fédéral a eu recours à la Cour suprême du Canada (« CSC ») pour des questions aussi épineuses que la sécession du Québec et le mariage homosexuel; les provinces ont appelé des renvois sur le rapatriement de la Constitution, ont finalement fait appel à la CSC. Le tout nouveau ministre de la Justice du Canada, David Lametti, pourrait soumettre au Cabinet pour approbation, conformément à Loi sur la Cour suprême, LRC 1985, ch. S-26, art. 53(1) ou (2), un renvoi à la Cour, concernant la relation constitutionnelle et le protocole appropriés entre le premier ministre, le Cabinet et le procureur général dans le cadre d'une poursuite en vertu du Code criminel, ainsi que la façon dont cette relation suscite le privilège avocat-client ou le privilège relatif au litige, si du tout.
Pourquoi appeler une référence ? Parce que les Canadiens ne savent pas quoi croire. Les audiences du Comité de justice en cours n'apporteront aucune réponse, seulement plus de questions. Mais il s'avère que les questions soulevées invoquent des conventions constitutionnelles, sur l'existence et la portée desquelles la Cour suprême s'est prononcée à maintes reprises.
La semaine dernière, devant le Comité de la justice, le greffier du Conseil privé a cité une convention constitutionnelle qu'il a appelée la doctrine Shawcross, pour excuser l'ingérence de l'exécutif dans les poursuites de SNC Lavalin. (La doctrine est que l'AG doit utiliser, en fait, pas pour que le PMO ou le PCO abuse, mais la portée de cette convention pourrait être clarifiée par la Cour).
Des démissions ont alimenté le scandale, dont le plus significatif est celui d'un ministre du Cabinet : l'ex-procureur général, Jody Wilson-Raybould. Les démissions non sollicitées du Cabinet sont des moments constitutionnels de dissidence du gouvernement par un membre du Parlement, dont l'expression de mécontentement ne peut être exprimée avec plus de force que de s'écarter du Conseil exécutif par principe. Le consigliere du Premier ministre a également démissionné du bureau du Premier ministre, intensifiant l'intrigue politique mais sans importance constitutionnelle significative, car il a nié tout acte répréhensible.
Pendant ce temps, une mascarade de censure prétend bâillonner l'ancien ministre de la Justice, sur la base de faux les revendications de privilège — à savoir, le secret professionnel de l'avocat et le privilège relatif au litige — dus par l'hon. Mme Wilson-Raybould au Premier ministre. C'est le cas le plus fragile pour la suppression auto-imposée dans la mémoire. (Ce n'est pas que nous ne prenons pas très au sérieux les privilèges juridiques à l'ACLC. En 2015, nous sommes allés devant la Cour suprême du Canada pour lutter contre les lois antiterroristes qui compromettaient le secret professionnel de l'avocat. La Cour a accepté, confirmant les protections constitutionnelles attachées à secret professionnel de l'avocat, déclarant qu'il s'agit d'un principe sanctifié de justice fondamentale).
Cela ne fait que souligner la mise en garde contre l'abus de ce privilège à des fins politiques, en refusant la transparence et la responsabilité au nom de protections destinées à protéger une procédure régulière, et non des réputations politiques (ainsi, par exemple, feu Eddie Greenspan a pu se défendre après que son client Noir Conrad contesté l'intégrité irréprochable de Greenspan).
Il est difficile d'affirmer que le secret professionnel de l'avocat s'applique lorsqu'aucun avocat n'est impliqué. Il s'avère que Mme Wilson-Raybould a perdu son adhésion à la Law Society of BC. Elle n'était donc pas avocate, procureure générale. Le Barreau a catégoriquement exclu cette semaine que ce privilège s'appliquait à elle parce qu'elle avait perdu ses privilèges légaux. Cela laisse donc le privilège relatif au litige, qui s'applique quel que soit son statut de non-avocat. Il protège des communications particulières par des personnes particulières concernant la poursuite de SNC Lavalin. Mais ce privilège a été abandonné il y a longtemps par le Premier ministre et son ancien secrétaire principal lorsqu'ils ont tous deux déclaré publiquement leur version de ce qui avait été dit. Ensuite, pour compliquer davantage les choses, l'ancienne AG a donné sa version de l'histoire devant le Cabinet cette semaine. Bien que cette délibération soit protégée par le privilège du Cabinet (souvent observé dans la violation, il faut le dire), la récitation d'informations potentiellement privilégiées dans un contexte politique plutôt que juridique, à une salle remplie de personnes qui ne sont pas parties au litige, met fin à tout privilège de litige attaché à cette information, sans doute.
Néanmoins, il reste un problème en cours, au moment d'écrire ces lignes, avec peu de chances d'être résolu, en l'absence d'une décision officielle, qui apparemment ne peut pas être trouvée dans les rangs de l'exécutif. L'une des questions sur lesquelles la Cour suprême du Canada devrait alors se prononcer serait : où et quand les litiges et le secret professionnel de l'avocat s'appliquent-ils, le cas échéant, entre le procureur général et le premier ministre? De plus, le fait d'avoir un procureur général non-avocat change-t-il cela?
Les Canadiens se demandent ce qui se passe à Ottawa, ne sachant pas si cette controverse vaut la peine de couler de l'encre. Qu'est-ce qu'un PMO exactement et qui est Gerald Butts ? Ils ont fait quoi, pour qui, et pourquoi est-ce un problème ? En l'absence d'un procès criminel, il n'y aura pas de réponses définitives sur la façon dont le système est censé fonctionner, lorsqu'un grand employeur canadien est poursuivi pour un crime, tout en recherchant très publiquement, non faire campagne, pour un recours inaccessible aux centaines de milliers de personnes poursuivies chaque année au Canada.
Les gens méritent un système judiciaire en lequel ils peuvent avoir confiance, mais je doute que la plupart des élites connaissent sa véritable réputation parmi les hoi polloi. Pendant une partie de ma vie d'adulte, je n'ai jamais imaginé que le système de justice canadien soit capable de corruption. Cependant, lorsque j'ai commencé à travailler avec des accusés indigents, j'ai appris que la plupart d'entre eux supposent que le système est truqué ; que les gens puissants actionnent des leviers qui punissent les ennemis et récompensent les amis. Les masses sont sceptiques, sans aucun doute, ne partageant ni mon ancienne adoration ni la haine des accusés pour un système qui ressemble à un mastodonte, une machine à conviction, où la présomption d'innocence est une blague. Le Premier ministre et ses partisans ont peut-être enfin ce sentiment eux-mêmes. Notre système judiciaire d'aujourd'hui n'est rien sinon impitoyable.
Appeler un renvoi à la Cour suprême du Canada permettrait une pleine diffusion de ces questions sans la politique du feuilleton qui en découle, avec une plus grande certitude apportée aux principes importants de l'indépendance quasi judiciaire — qui, je dois ajouter, est interprété de manière incohérente à travers Canada, selon la province et parfois même à l'intérieur d'une province ou d'un territoire. Une référence pourrait poser les questions : qui peut discuter de quoi avec la procureure générale au sujet d'une « entente de réparation » du Code criminel exigeant son consentement quasi judiciaire? Quelles communications sont privilégiées et dans quelles circonstances ce privilège peut-il être perdu ?
Le principe en jeu n'est rien de moins que l'indépendance du système judiciaire, et comment exactement les différentes branches de l'État sont censées fonctionner au cours d'une poursuite pénale. Le pouvoir judiciaire ne devrait probablement jamais entendre le PMO parler d'autre chose que des budgets et des nominations. La branche exécutive — le PM et le Cabinet — ne s'implique jamais ou parfois dans les poursuites ou… qu'en dites-vous à la Cour suprême du Canada? Enfin, quelle est la bonne relation entre le Cabinet et le procureur général, cet étrange animal constitutionnel qu'est une politicienne élue nommée à son poste au Cabinet par le Premier ministre, qui a à la fois des fonctions politiques (légalisation du cannabis, lois DUI, réforme du droit des jurys) et quasi -les fonctions judiciaires (poursuites pénales et contentieux constitutionnels). Quel est le droit statutaire et quelles conventions constitutionnelles s'appliquent à tous ces acronymes ?
Tout cela se résume à savoir si et comment le procureur général, dans l'exercice de ses fonctions quasi judiciaires, consulte le pouvoir exécutif de l'État, dans sa détermination de l'intérêt public. Cette détermination est un point de décision pour tout agent quasi judiciaire dans la conduite d'une poursuite. Les preuves, les faits et la loi sont pris en considération, ainsi que l'intérêt public. À l'ACLC, nous croyons qu'à moins qu'ils ne consignent tout cela au dossier (par écrit, dans la Gazette du Canada ou au Parlement), il ne devrait plus y avoir de contact entre le Cabinet et le procureur général sur des questions comme ils auraient avec un juge, ne serait-ce que pour conférer le nécessaire apparence d'indépendance ainsi que la substance de celle-ci. A titre subsidiaire, le Royaume-Uni pratique constitutionnelle suggère que le procureur général, qui ne siège pas au Cabinet, puisse solliciter l'avis des ministres du Cabinet sur des points saillants, mais ne devrait pas subir de pressions de la part de qui que ce soit, ni recevoir de conseils non sollicités.
Il existe des points de vue alternatifs, ce qui rend un renvoi à la Cour suprême du Canada d'autant plus nécessaire. Le directeur fédéral des poursuites pénales aura un point de vue, tout comme d'autres provinces, qui pourraient à juste titre souhaiter une ligne claire, étant donné qu'elles poursuivent beaucoup plus que le gouvernement fédéral. D'un autre côté, certains groupes de la société civile souhaiteraient peut-être qu'il y ait plus d'interventions de l'exécutif au nom de la réparation de la discrimination systémique. La Chambre de commerce peut avoir quelque chose à dire sur l'impact de tout cela sur les entreprises et l'économie. Quelque chose me dit que SNC Lavalin chercherait à se tenir debout.
Ancien procureur général de l'Ontario et juge en chef Roy McMurtry expliqué une grande partie de cela lorsqu'il s'est levé à l'Assemblée législative de l'Ontario en 1978 pour expliquer pourquoi la Couronne ne poursuivrait pas un ministre du Cabinet PE Trudeau (démissionnaire) pour des actes criminels présumés. C'était un acte officieux qui a renforcé la confiance du public et ouvert la décision à une transparence totale. Les mêmes objectifs pourraient être atteints, pour l'amélioration de l'administration de la justice, par un renvoi à la Cour suprême du Canada, sur les communications entre le Conseil exécutif et le procureur général concernant une poursuite en vertu du Code criminel, et tout privilège juridique s'y rattachant.
L'objection de l'initié à l'idée de référence est le timing. D'une part, les élections d'automne ne rendent pas la question sans objet ; c'est d'une importance durable. D'un autre côté, le gouvernement n'appellera pas de référence de manière réaliste à moins qu'il ne parie qu'il peut en bénéficier avant les élections, estimant que sa position est défendable. Cependant, rien n'empêche le gouverneur en conseil (Cabinet) en vertu de la loi de mettre en place des échéanciers. Il est loisible à la Cour de refuser d'entendre un renvoi, et ils peuvent refuser de respecter les délais demandés, même si je serais surpris qu'un délai raisonnable soit exclu. D'autres pays, comme Israël, ont une Cour suprême qui siègera à tout moment, littéralement, lorsqu'elle sera invitée à donner des conseils, tout comme les États-Unis se sont retournés. Gore contre Bush avec empressement. Si le Canada ne peut pas demander un renvoi et obtenir une réponse à ces questions constitutionnelles cruciales en quelques mois, les Canadiens doivent à juste titre se demander, comme nous le faisons souvent à l'ACLC, à qui appartient ce système de justice.
Michael Bryant est directeur général et avocat général de l'Association canadienne des libertés civiles. Il a été le 35e procureur général de l'Ontario en 2003-2007 et a été clerc à la Cour suprême du Canada en 1992-1993.
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